Transcription - Discours prononcé lors de la Conférence de Munich sur la sécurité
Discours prononcé lors de la Conférence de Munich sur la sécurité
Bon après-midi et merci pour votre accueil chaleureux. C'est un plaisir d'être ici à Munich pour cette importante conférence. Je dois dire que votre invitation arrive à point nommé. Il y a quelques semaines à peine, nous avons marqué le début d'une nouvelle année et d'une nouvelle décennie. Et pour les gens du monde entier, janvier est généralement l'occasion de prendre un nouveau départ, d'envisager l'avenir avec optimisme et avec espoir. Toutefois, l’année 2020 a connu un sombre départ, non seulement pour les Canadiens, mais aussi pour les populations de l'Ukraine, de l'Iran, de l'Afghanistan, de la Suède et du Royaume-Uni. Le 8 janvier, nous avons tous appris qu'un avion s'était écrasé près de Téhéran. Quelques jours plus tard, nous avons appris que le vol 752 de la Ukrainian Airlines avait été abattu par des missiles iraniens. Au total, 176 personnes innocentes ont perdu la vie dans cette tragédie. Pour 138 d'entre elles, le Canada était leur destination prévue.
Au cours des dernières semaines, j'ai rencontré beaucoup d’amis et de membres de la famille des victimes et j'ai entendu leurs histoires. Il s'agissait de gens ordinaires, de jeunes mariés, de camarades de classe et de collègues, d'amis et de familles, de parents qui s’apprêtaient à rejoindre leurs enfants, d'enfants qui avaient toute leur vie devant eux. Il s'agissait de gens ordinaires qui faisaient une chose ordinaire, durant ce qui aurait dû être une journée ordinaire.
Dans le monde entier, les citoyens subissent les conséquences, grandes et petites, des décisions qu'ils ne prennent pas, des tendances mondiales qu'ils ne peuvent pas contrôler. Ils devraient être rassurés par leurs dirigeants, ils devraient pouvoir compter sur les personnes présentes dans cette salle pour agir, pour trouver de vraies solutions. Mais de plus en plus, les gens n’ont plus confiance que leurs dirigeants et leurs institutions peuvent les protéger et les soutenir dans un monde en évolution rapide.
De plus en plus, les citoyens doutent des bienfaits de notre monde intégré. Ils pensent que la mondialisation profite seulement à ceux qui sont déjà riches, ils se sentent interpellés par les mouvements populistes qui exploitent leurs inquiétudes et prônent l’isolement. Le résultat, c’est de plus en plus de pays qui se replient à l’intérieur de leurs frontières.
Nous vivons dans un monde où les dirigeants sont plus nombreux à remettre en cause les principes qui régissent depuis longtemps les relations internationales. Le protectionnisme est à la hausse, le commerce est instrumentalisé, les avantages découlant d’une gouvernance démocratique sont mis en doute. Des libertés fondamentales sont supprimées et des dirigeants autoritaires gagnent en audace. Des inquiétudes de nature politique ajoutent aux turbulences d’un monde qui traverse déjà des changements sans précédent. Dans le monde, l’équilibre du pouvoir se déplace, de nouvelles puissances émergent rapidement et d’autres s’affirment davantage dans leur région. Les changements climatiques constituent une menace existentielle pour l’humanité, et la science nous dit qu’il nous reste une décennie à peine pour trouver des solutions pour notre planète. Et pendant que le rythme effréné des changements technologiques crée de nouvelles opportunités pour les gens de partout, il donne également lieu à de nouveaux problèmes de gouvernance.
Quand je pense à ces enjeux et à leur incidence sur les gens, je me demande quel rôle peut jouer le Canada. Le Canada est un pays influent, mais je n’irais pas jusqu'à dire qu’il est assez grand pour influencer à lui seul le cours des affaires mondiales. Cependant, dans ce monde connecté où nos économies et nos destinées sont liées, je sais que se retirer à l’intérieur de nos frontières ne contribuerait aucunement à accroître la sécurité de nos populations ou la prospérité de nos pays. Depuis que je suis premier ministre, j’ai constaté de mes yeux que les forums comme celui-ci, de même que la coopération internationale, peuvent changer concrètement la vie des gens. Les solutions que nous trouvons durant les rencontres comme celle-ci peuvent atténuer les tensions, aplanir les iniquités, créer de nouvelles opportunités et résoudre des problèmes communs.
Néanmoins, pour beaucoup trop de gens, le multilatéralisme n’a pas donné lieu au genre de changements qu’ils souhaitent. Nous ne devrions pas abandonner les principes de longue date liés à la coopération internationale, mais il nous faut reconnaître la nécessité de moderniser nos institutions. Certains aspects de l’architecture internationale reflètent de vieilles idées et de vieilles structures de pouvoir. Des institutions qui devraient agir en complémentarité les unes des autres se chevauchent et mènent leurs activités en vase clos. Il faut rectifier cela. En parallèle, face à des problèmes nouveaux, on ne peut pas se contenter d’appliquer de vieilles solutions. Nous faisons face aujourd'hui à des problèmes qui défient les formes établies de gouvernance mondiale. Pour obtenir de vrais résultats pour nos citoyens, nous devons regarder au-delà des cadres actuels. Afin de résoudre les problèmes émergents, nous devons mobiliser de vieux amis, de nouveaux partenaires, le secteur privé et la société civile.
Cela veut dire qu’on ne peut pas toujours attendre un consensus parfait dans les limites des organisations établies. Pour produire des résultats, nous devons agir avec ceux qui sont prêts à passer à l’action. De concert avec des partenaires, le Canada a adopté cette approche pragmatique dans un certain nombre de domaines, notamment le commerce, la promotion de la démocratie et la lutte contre les changements climatiques. Les progrès que nous avons réalisés consolident ma confiance à l’égard du pouvoir de la collaboration et de la promesse de nos institutions. C’est pourquoi le Canada continuera de répondre à l’appel à une époque où d’autres préfèrent parfois rester à l’écart.
Prenons l’exemple du commerce. Au cours des quatre dernières années, le Canada a renégocié l’ALENA, signé l’Accord commercial et économique global avec l’Union européenne et adhéré au Partenariat transpacifique global et progressiste. Nous sommes le premier et le seul pays du G7 à profiter d’un accord de libre-échange avec tous les autres pays du G7. Cependant, si nous avions choisi de fermer les yeux face aux inquiétudes bien réelles de gens de l’ensemble du spectre politique à l'égard du libre-échange et de la mondialisation, nous ne profiterions peut-être pas d’un accès préférentiel aux deux tiers de l’économie mondiale aujourd'hui. Nous avons consciemment décidé d’aborder ces inquiétudes de front dans le cadre de trois vastes accords commerciaux internationaux qui prévoient des normes sans précédent pour protéger l’environnement, les travailleurs, les droits de la personne, l’égalité des sexes, les droits des Autochtones et notre culture.
Mais cette vision du commerce international est seulement possible si les échanges sont encadrés par des règles et des principes. C’est pourquoi le Canada a lancé une nouvelle initiative à ce chapitre, le groupe d’Ottawa. Le but, c’est d’aider à moderniser l’Organisation mondiale du commerce de façon à faciliter les échanges et à améliorer le règlement des différends. En même temps, le Canada et l’Union Européenne travaillent ensemble pour établir un nouveau mécanisme d’appel qui permettra de poursuivre l’arbitrage des différends commerciaux en attendant des réformes à l’OMC. Il y a quelques semaines, 15 autres pays ont appuyé cette démarche. Il reste évidemment du travail à faire, mais c’est un bon exemple de la contribution positive que le Canada cherche à apporter au reste du monde.
À l’aube de cette nouvelle décennie, nous faisons face à des défis aussi grands qu’incontournables, dont plusieurs touchent le cœur même de nos principes démocratiques. Les valeurs qui nous sont chères sont menacées et notre volonté de les protéger est mise à l’épreuve. Des journalistes sont jetés en prison, la liberté de parole est restreinte et les appels à la démocratie sont étouffés. C’est pourquoi nous avons travaillé avec le Royaume-Uni afin d'élaborer un Engagement mondial pour la liberté des médias. C’est également pourquoi, de concert avec la France et 33 autres pays, nous adhérons à la Déclaration sur l’information et la démocratie, par laquelle les pays s’engagent à protéger la liberté d’opinion et d’expression dans le monde.
Nous ne pouvons pas oublier que ce sont les hommes, les femmes et les enfants innocents qui subissent les conséquences dévastatrices de l’inefficacité de la communauté internationale. Le conflit en Syrie et la situation tragique à Idlib en sont de parfaits exemples. Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur les échecs du multilatéralisme, nous devons plutôt en tirer des leçons.
Sans dialogue international constructif, les crises locales qui perdurent frappent les populations vulnérables et se changent en urgences régionales ayant des répercussions mondiales. C’est pourquoi le Canada travaille plus étroitement que jamais avec nos alliés d’Amérique latine au sein du Groupe de Lima pour défendre la démocratie au Venezuela. C’est également pourquoi nous restons déterminés à soutenir la paix et la stabilité en Irak, particulièrement en assumant le commandement de la mission de l’OTAN dans ce pays. Ensemble, en tant que communauté de nations, nous réalisons des progrès. Des progrès que nous n’aurions simplement pas pu accomplir si nous avions décidé de relever ces défis par nous-mêmes. Et la menace des changements climatiques illustre peut-être mieux que toute autre pourquoi il faut continuer de choisir la collaboration. C’est l’enjeu déterminant de notre époque, celui qui redéfinira nos sociétés et l’économie mondiale. Et par‑dessus tout, il menace non seulement notre mode de vie, mais également notre existence même.
Lorsque je me suis joint aux autres dirigeants pour signer l’Accord de Paris, j’ai promis que le Canada allait faire sa part pour relever ce défi. Plus de quatre années plus tard, vous me voyez plus déterminé que jamais à être partenaire à part entière dans la lutte internationale contre les changements climatiques. À l’approche de la CdP26 à Glasgow, je vais continuer de promouvoir l’établissement d’un tarif sur la pollution chez nous et à l’étranger, parce qu’un monde où il n’est plus possible de polluer gratuitement est un monde prêt à vaincre la crise climatique et à saisir les opportunités d’une ère nouvelle.
Soyons clairs : je ne cite pas ces exemples parce que je crois que le Canada est le seul pays à apporter une contribution positive à notre monde. Au contraire, si nous avons réalisé des progrès, c’est justement parce que nous avons pu compter sur des partenaires qui, eux aussi, sont pragmatiques par rapport aux défis auxquels nous sommes confrontés. Des partenaires qui, eux aussi, sont prêts à agir.
Vous savez, des gens de six nationalités différentes et qui entretenaient des liens avec beaucoup d’autres pays étaient à bord du vol 752 de l’Ukrainian Airlines. C’est dire à quel point le monde dans lequel nous vivons est interconnecté. Ce monde recèle un immense potentiel. C’est un monde où nous profitons de la libre circulation des idées, où les différences nous enrichissent au lieu de nous affaiblir, où les liens que nous entretenons par-delà nos frontières font de nos communautés des endroits meilleurs et plus résilients. C’est un monde pour lequel il vaut la peine de se battre.
Quand on m’a annoncé cette tragédie, l’une des premières personnes que j’ai appelées a été mon ami, le premier ministre Mark Rutte. Les Pays‑Bas, comme dix autres pays, ont été touchés par une tragédie beaucoup trop semblable il y a six ans, lorsque le vol 17 de la Malaysia Airlines a été abattu. Les pertes de vie nous brisent le cœur, mais le fait que cette situation ait pu survenir plus d’une fois est consternant. C’est pourquoi nous devons agir. De concert avec des partenaires et à partir de l’important travail accompli par les Pays‑Bas après l’écrasement du vol MH17, nous sommes en train d’élaborer une initiative visant à accroître la sécurité dans les airs. En transformant la collaboration et l’échange de renseignements entre les pays, nous pouvons rehausser la sécurité aérienne dans les zones de conflit ou aux alentours, et empêcher d’autres tragédies de survenir. Des millions de personnes se déplacent en avion chaque jour, et elles ne devraient pas avoir à se demander si elles seront prises comme cible par erreur.
Ce n’est là qu’un exemple de ce que nous, dirigeants, pouvons accomplir ensemble, et uniquement ensemble, pour rendre le monde plus sécuritaire. Mais les dirigeants et les gouvernements ne devraient pas attendre qu’une tragédie se produise avant d’agir, tout comme on ne devrait pas attendre les sombres mises en garde des scientifiques ou les feux de forêt dévastateurs pour s’attaquer aux changements climatiques. Les forums comme celui‑ci réunissent des gens qui ont en commun non seulement des problèmes, mais également la capacité de les résoudre. Pour que le multilatéralisme fonctionne, les gens doivent pouvoir compter sur nous pour solutionner les problèmes, grands et petits, qu’ils ne peuvent pas résoudre eux-mêmes.
Pour ce faire, le Canada est prêt à agir en partenariat avec de vieux amis et de nouveaux alliés comme vous l’êtes également, j’en suis sûr. Alors, montrons aux gens que nous servons que nous les entendons et que nous allons travailler ensemble, parce qu’ils n’en méritent pas moins de la part de chacun de nous.
Vielen Dank. Merci beaucoup. Thank you all.