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LA VERSION PRONONCÉE FAIT FOI

Merci, Adam, pour cette aimable présentation. Et merci à tous ceux qui sont ici au Shaar pour votre accueil chaleureux.

Lorsque le rabbin Scheier m’a invité à célébrer Yom Kippour ici avec sa congrégation, je savais que je ne pouvais pas laisser passer l’occasion.

Sachant que j’aurais quelques minutes pour m’adresser à vous ce soir, j’ai passé un long moment à réfléchir à ce que je voulais vous dire. Et j’ai pensé à quelques expériences importantes qui m’ont marqué – des expériences dont j’aimerais vous faire part.

Comme beaucoup d’entre vous le savent, je suis retourné en Israël il y a à peine quelques semaines pour rendre hommage à un grand leader – et à un homme plus grand encore : Shimon Peres.

En tant qu’ancien président et premier ministre d’Israël, Shimon Peres était un phare, un rayon de lumière à travers les conflits. Il était un homme de paix, voué à l’État d’Israël et à la communauté juive dans son ensemble.

Israël est un grand ami et allié de longue date du Canada. Et Shimon Peres incarnait cette réalité dans les efforts qu’il a déployés pour bâtir et entretenir les relations entre nos deux pays.

Quand je l’avais rencontré dans son bureau de président lors de ma première visite en Israël, il a partagé avec moi des histoires de sa longue amitié avec mon père.

Il m’a raconté comment leur première rencontre s’était déroulée. Qu’ils avaient mangé ensemble dans le jardin au 24, Sussex, assis sur une couverture en profitant d’une belle journée à Ottawa. Plusieurs années après, M. Peres parlera de ce moment en disant « Nous nous sommes assis comme deux jeunes enfants et nous avons mangé un déjeuner. Et après, une très belle amitié s’est développée ».

Shimon Peres a laissé en héritage le souvenir d’un homme d’État exemplaire et un modèle de coopération.

C’était un honneur pour moi de représenter les Canadiens à ses funérailles. Je me sens très privilégié d’avoir été témoin du nombre impressionnant de leaders mondiaux venus se réunir pour célébrer sa vie et ses réalisations.

C’est un moment que je ne suis pas prêt d’oublier.

Tout comme je ne suis pas prêt d’oublier une conversation que j’ai eue cet été avec mon fils.

Vous voyez, j’étais à Varsovie pour le Sommet de l’OTAN il n’y a pas longtemps. Et j’ai décidé d’emmener mon plus vieux, Xavier, au musée de l’Histoire des Juifs polonais.

Comme tous les enfants de 8 ans, Xav avait mille et une questions à me poser pendant notre visite du musée.

Et lorsqu’on est arrivé à la section sur l’Holocauste, sa question était la suivante : « est-ce que tout le monde est mort? » Il avait du mal à saisir toute l’horreur de cette tragédie.

J’ai été frappé non seulement par l’innocence de sa question, mais aussi par le poids immense de la réponse que je lui devais.

En tant que papa, comment pourrais-je même commencer à lui expliquer l’existence d’un mal aussi profond? Je suis certain que vous êtes nombreux à avoir eu le même dilemme avec vos enfants.

C’est après cet échange que j’ai décidé de ne pas emmener Xav visiter Auschwitz avec moi.

Et ce n’était pas seulement en raison de l’effet que la visite aurait sur lui, mais sur moi aussi.

Je savais au fond de moi que je devais visiter ce lieu solennel pour la première fois en tant qu’être humain et dirigeant, et non en tant que papa qui s’inquiète de l’expérience de son fils. C’est certain que je vais y retourner avec mes enfants quand ils seront un peu plus grands. Quelque part, j’ai même hâte au défi de les accompagner et de les guider comme il faut, en tant que père.

Mais lors de cette visite, ma première visite, j’avais besoin de comprendre et de vivre cette expérience pour moi-même, pour ensuite la laisser inspirer mes gestes et mon identité en tant que dirigeant.

Et laissez-moi vous dire que cette expérience restera gravée en moi pour le reste de ma vie.

Vous êtes nombreux à savoir à quel point il est difficile de mettre des mots sur cette visite. Mais rien d’une visite à Auschwitz ne devrait être facile.

Bien entendu, j’ai essayé de me préparer mentalement dans les jours précédant ma visite. Mais du moment où j’ai mis les pieds dans le camp, tout ça s’est envolé.

C’était bouleversant et ça m’a fendu le cœur.

Pendant la visite, Rabbi Scheier, Nate Leipciger – un survivant d’Auschwitz inspirant – et moi avons entendu toute l’histoire du camp.

Au crématorium, nous avons pleuré ensemble la mère et la sœur de Nate ainsi que tous les innocents comme elles.

Mais quand j’y repense, un moment en particulier, un endroit précis, est emblématique de ma visite.

Le wagon.

Vous savez, lorsqu’on se trouve dans un endroit comme celui-là, un endroit qui porte une histoire aussi dévastatrice et terrible, il est difficile de vraiment saisir toute l’ampleur des événements.

J’ai essayé de comprendre ce qu’ont vécu toutes ces personnes qui étaient innocentes, mais qui se sont fait arracher leur vie. Des familles détruites par la haine, l’intolérance et la persécution.

Et je me butais constamment à un sentiment d’impuissance, reconnaissant que je ne pourrais jamais vraiment comprendre l’ampleur du drame.

Mais ce vieux wagon de bois m’a rapproché des événements.

Vous voyez, je suis une personne plutôt tactile. Tous ceux qui m’ont rencontré dans un rallye ou un barbecue ou qui m’ont simplement croisé dans la rue le savent.

Et lorsque j’étais à Auschwitz, lorsque j’ai pu poser mes deux mains sur ce wagon qui a emmené des gens dans cet endroit sinistre, les événements ont pris forme en moi.

Lorsque j’ai touché ce véhicule dans lequel tant de passagers avaient fondé leur espoir de liberté, mais qui les avait plutôt emmenés à la mort, les événements ont pris forme en moi.

Comme pour le wagon, mon expérience a été rendue plus concrète par le récit de Nate.

Nate nous a raconté son histoire. Il a courageusement parlé de la disparition de sa famille. Et il a parlé de la noirceur, du poids qu’il porte en lui tous les jours.

Vous savez, ces moments – lorsque j’ai mis ma main sur le wagon, lorsque j’ai écouté le récit de Nate – ont d’une certaine façon donné vie à cette tragédie pour quelqu’un comme moi qui ne saura jamais vraiment ce qu’a été cette dévastation.

Ce que j’ai ressenti a été brut et viscéral :

Une immense tristesse face à l’ampleur de cette immense perte.

De la colère à l’idée que de telles atrocités avaient été perpétrées par un soi-disant « leader » – un leader qui a bafoué de la manière la plus monstrueuse et cruelle possible la responsabilité et la confiance que les gens avaient placées en lui.

Et un sentiment d’impuissance, sachant que cette haine existe encore à différents degrés dans le monde d’aujourd’hui.

En tant que communauté mondiale, on se dit souvent qu’on a le pouvoir de provoquer le changement et de contrer la peur par l’amour. Mais ce genre de mouvement à grande échelle commence d’abord avec nous – avec chacun et chacune d’entre nous en tant qu’individu.

Pour commencer, nous devons célébrer nos différences, et pas seulement les tolérer. Nous devons exiger plus – de nous-mêmes et des autres.

C’est encore notre responsabilité commune – en tant que leaders, Juifs et amis de la communauté juive – de nous assurer que, grâce à l’éducation et à la sensibilisation, notre promesse « plus jamais » n’est jamais oubliée.

Et cela m’amène à aujourd’hui. Et plus précisément à aujourd’hui : Yom Kippour.

En ce jour sacré, je suis heureux d’avoir pu vous faire part de certaines expériences que j’ai vécues récemment et qui m’ont profondément touché.

Assister à la cérémonie commémorative d’un fier homme d’État juif et le dernier des pères fondateurs de l’État d’Israël; répondre à des questions innocentes, mais difficiles, de la part de mon fils; visiter un site qui témoignera toujours de la cruauté de l’humanité : ces expériences seront gravées dans mon cœur à jamais, en tant que dirigeant, père et être humain.

Je veux alors vous remercier de m’avoir invité à souligner Yom Kippour avec vous. Cette occasion est peut-être la meilleure qui nous est donnée pour soulever ces questions.

En cette occasion, je vous souhaite des réflexions personnelles importantes, de la paix intérieure et un sentiment de réconciliation pour l’année à venir.

G’mar Chatima Tova – Que votre nom soit inscrit dans le livre de vie.

Merci beaucoup.